l'été, l'enfant d'en face (extraits)


(Un homme)

Ce qu'il y a de bien dans les contre la montre, c'est qu'on les voit passer les uns après les autres. Et pas en peloton. En plus, là, en haut de la côte, on les voit venir de loin, dans les lacets. Et en plus, ils ne vont pas vite. Forcément: ça monte. Du 8% au minimum. 8%, tu vois, ça veut dire que tous les 100 mètres, la route monte de 8 mètres. Verticalement. Enfin, en altitude. L'altitude, c'est la... c'est au-dessus du niveau de la mer. Le niveau de la mer, c'est zéro. Zéro mètres. On commence à mesurer l'altitude à partir de là. Du zéro. Du niveau de la mer. D'accord, tu me diras : le niveau de la mer n'est pas toujours le même, je te connais, hein, ah ah, il y a les marées. La marée basse, la marée haute. Oui mais bon, zéro mètres, c'est la moyenne ; le milieu entre la marée haute et la marée basse. Enfin, c'est le moment où la mer qui est partie, mettons, de la marée basse, mais en sens contraire ça marche aussi, arrive au milieu du chemin pour aller vers la marée haute. Tu vas dire: y a pas de chemin, elle ne se déplace pas, la mer, elle monte et elle descend, seulement. D'accord : le chemin, c'est une image. Je te vois venir, ah ah : au Mont-Saint-Michel, on dit qu'elle se déplace à la vitesse d'un cheval au galop. Hein, héhé ? Mais c'est parce que la pente est douce. Attention, hein, pas comme ici, pas du 8%: c'est ça, justement, que je t'explique... Non : il faut imaginer qu'elle monte le long d'un mur. Vertical. Comme un fil à plomb. Alors, là, tu prends le milieu et tu as le zéro. Zéro mètres. Pas plus difficile que ça. Bon, tu pourrais me dire : le fil, je peux le tenir plus ou moins haut, alors zéro mètres ça dépend. Oui, mais là, attends : je ne te parle pas de fil, mais de mur. Vertical. Vas-t-en tenir un mur plus ou moins haut, hein ! Bon, le zéro est au milieu, on sait qu'il est là : on peut donc calculer l'altitude. Tu vas me demander comment on sait, je te vois venir. Mais c'est ce que je me tue à t'expliquer, non ? Ce qui fait qu'ici, ça te donne à la fin une pente de 8%. Hein, qu'est-ce que tu...? Mais où es-tu ? Hé ? Où es-tu ?

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(Un homme, une femme.)

- Ah, c'est toi !... J'ai eu peur.

- Bonsoir.

- Non, pas ici, non, ne t'approche pas.

- Qu'est-ce qui se passe ?

- Tu sais bien que ce n'est pas tranquille, ici.

- Mais si, voyons ... Ah, c'est à cause du gosse, la semaine dernière ?

- Oui.

- Il n'a rien vu.

- Mais si, bien sûr ! Les enfants voient tout.

- Il n'a rien dit.

- Qu'est-ce que tu en sais ?

- Tu parles, tout le monde serait au courant et tout le monde en parlerait: tu connais les gens !... Il ne dira rien.

- Pourquoi ?

- Parce que s'il avait voulu raconter ce qu'il a vu, il l'aurait déjà fait !

- C'est des suppositions, ça !

- Mais non.

- Je rentre chez moi.

- Attends ! Il n'a rien vu : il est passé si vite.

- Il s 'est arrêté.

- Une seconde. C'était la surprise de voir quelqu'un ici, à cette heure-là. La surprise, c'est tout. Il n'a eu le temps de rien voir.

- Il était là, pourtant. Et il nous a vus. Maintenant, il y pense, c'est sûr. Je rentre.

- Mais non !

- Je l'ai rencontré lundi. Il faisait du patin à roulettes.

- Il t'a regardée ? Il t'a regardée d'un drôle d'air ?

- Je ne sais pas : dès que je l'ai vu, j'ai tourné la tête.

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(Trois femmes, deux hommes, sur la plage)

- Ici ?

(Elles installent serviettes, magazines, etc...)

- Elle doit être froide: il a plu cette nuit.

- Moi, aujourd'hui, c'est surtout pour bronzer.

- Moi, c'est pour la détente.

- Qu'est-ce qu'il va faire, plus tard ?

- Tu ne trouves pas que c'est un peu tôt pour....?

- Il a pas une idée ?

- Non, il ne parle de rien .

- Quelque chose ne va pas ?

- Juste un peu énervée. Mais ça se calme.

- Tu sais, les repas, c'est l'enfer.

- Le petit mange toujours aussi peu ?

- Comme tu dis, oui : ça ne s'arrange pas. Et ça met Fred dans une de ces rages ! A chaque fois, c'est pareil.

(Silence)

- Où est-il ?

- Le petit ? Au club.

- C'est bien: ça laisse un peu de temps pour... Tu sais, c'est peut-être parce qu'il est seul. A plusieurs, on s'entraîne.

- Je ne vais tout de même pas faire des enfants à la pelle parce que celui-ci ne mange pas ! Et à mon âge, en plus...

- Et pourtant, c'est vrai, à plusieurs, on s'entraîne et tout le monde finit par manger.

- Ca, tu en sais quelque chose : vous étiez six à la maison, non ?

- Cinq. Le sixième, c'était l'oncle.

- Ah, celui qui... ?

- Oui.

- Remarque, j'y ai pensé. L'an dernier, je me débrouillais souvent pour que la petite du dessus vienne manger à la maison. Ils ont le même âge.

- Celle qui louche ?

- Moins, maintenant, depuis qu'elle porte des lunettes.

- Elle doit manger, celle-là !

- Plutôt deux fois qu'une ! Mais ça n'a rien donné : il la regardait, c'est tout, avec des yeux ronds, mais sans manger ; il faut dire qu'elle est spectaculaire quand elle mange !

- Le remède était trop fort pour le mal. Il aurait fallu doser...

- Enfin, il y a bien quelque chose qu'il aime!

- Oui : que ses lacets soient à la même longueur. Que les deux extrémités du lacet de sa chaussure soient à la même longueur. Que les deuxextrémités des deux lacets de ses deux chaussures soient à la même longueur.

- Comprends pas.

- Regarde : le mien n'est pas à la même longueur.

- Ah, d'accord ! Mais ça n'est pas possible, ça n'est jamais à la même longueur, pas exactement, c'est trop difficile. Et puis, on s'en fout !

- Pas lui.

- C'est tout ce qu'il aime?

- Non, mais ça lui prend du temps.

- Ca l'occupe...

- Le petit, vous l'avez emmené chez un spécialiste, non ?

- Ah, tu l'as su ? Ca n'a rien donné non plus : le spécialiste a dit de le laisser faire à son envie, et que ça s'arrangerait.

- Facile !

- Oui ; Fred n'était pas content. Il s'est énervé.

- Je vois.

- Tu connais Fred... Le spécialiste aussi s'est mis en colère : il a dit que c'est la famille qu'il faudrait soigner...

- Je vois : thérapie familiale.

- Pardon ?

- Aïe: la tête de Fred !

- Comme tu dis... Je ne sais plus quoi faire. Je prépare pourtant tout ce qu'il aime : de bons petits plats...

- C'est Fred qui doit en profiter !

- Tu sais, avec son cholestérol...

(Elles ôtent leurs peignoirs et apparaissent en maillots de bain)

- Je te mets de la crème ? Non, mais pour plus tard, tu n'as pas une idée ?

- Si : metteur de lacet à la même longueur.

- Sérieusement.

- Sérieusement, je ne vois pas.

- Travaux publics, pourquoi pas?

- Hé : pas comme moi !

- Non, ingénieur, je veux dire...

- J'ai grossi, non ?

- Non... Un petit peu, peut-être...

- J'ai grossi, je le sens bien.

- Mais non... Enfin, presque pas.

- Je vais faire un régime.

- Du sport.

- Du sport et un régime.

(Silence)

- Il est vif.

- Hein ?

- Le petit: il est vif. En tout cas, il n'a pas l'air malade.

- Il n'est jamais malade. Pourquoi veux-tu... ?

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Il se souvient qu'il se reculait souvent pour voir les adultes de loin : ils lui semblaient alors tout entiers, plus petits, à sa mesure.

On dit que je suis timide. Les autres, en tous cas, m'impressionnent : c'est qu'ils ont tellement l'air, toujours, de savoir ce qu'ils veulent... l'air d'être à leur place, l'air d'être utiles...

Le mieux, maintenant, c'est de faire comme eux : d'avoir l'air, aussi.

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