la princesse et les jardiniers (extraits)

Tom : Regarde. Regarde par-dessus la haie.

Al : Tu veux que je regarde ?

Tom : Oui.

Al : Sûr ?

Tom : Regarde.

Al : Tu es bizarre, des fois.

Tom : Que vois-tu ?

Al : Un paysage.

Tom : Sois précis.

Al : Bon. Un pré d'abord, puis un petit bois, puis une montagne, puis, derrière, une autre montagne. Et enfin une dernière montagne couverte de forêt. Bleue, une montagne bleue. On ne voit pas plus loin. (Et il ajoute, murmurant, comme pour lui-même :) Le commencement du monde.

Tom : Un pré d'abord, plein de ronces et de genêts, puis un bois, broussailleux, épineux, puis une montagne pelée et venteuse, puis, derrière une autre montagne, pierreuse et glacée et enfin la forêt, si sombre sûrement, et si épaisse que personne n'y entre jamais, que personne n'y est jamais entré.

Al : Et bien moi j'y entrerai.

Tom : Et tu iras comment ? En volant comme un oiseau ?

Al : En marchant !

Tom : En marchant sur quel chemin ? Est-ce que tu vois des chemins ?

Al : Euh, non... Là, peut-être. Ou bien là, oui, on devine un petit bout de chemin, enfin je crois...

Tom : Pas de chemins. Ou s'il y en a, creusés d'ornières, spongieux et glissants, à peine praticables. Al, de l'autre côté de cette haie, il n'y a que des épines et des orties, de la boue et de la caillasse, des ronces emmêlées et des sentiers perdus. De l'autre côté de cette haie, c'est le désordre et le chaos. Plus de repères, tout est indéchiffrable, indéfrichable, infranchissable. On ne s'y retrouve plus. Ici, dans le jardin, on sait où chaque allée mène puisque c'est nous qui l'avons tracée, on sait où l'on va, on...

Al : On sait où l'on va mais on va nulle part puisqu'on n'en sort jamais. On sait où l'on va mais on ne sait pas d'où l'on vient ! En restant dans ce jardin, Tom, on ne le saura jamais.

Tom : Mais enfin qu'est-ce que tu veux savoir ?

Al : Nous ne sommes pas nés dans ce jardin.

Tom : Non, mais...

Al : Tom, tu es plus âgé que moi alors tu te souviens.

Tom : De quoi ?

Al : D'avant le jardin.

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Ella : Alors tu es venu jusqu'ici pour rien. Tu abandonnes tout près du but. Allons, franchis ces ronces et ces broussailles ! Ce ne sont pas quelques écorchures, quelques égratignures qui vont t'arrêter !

Al : Non. Ella, je... je crois que j'ai peur de ce que je vais trouver là, dans cette forêt.

Ella : Mais tu ne trouveras rien ! Tu ne sais même pas si tu viens de là, si Tom et toi venez de là. Cette forêt, tu l'as choisie au hasard, c'est toi qui as décidé que c'était la bonne. Tu as fait un pari. Un pari, ça se gagne parfois, ça se perd souvent, ça se perd la plupart du temps.

Al : Tu... tu ne veux pas entrer dans la forêt ? Tu ne voudrais pas aller voir ?

Ella : Moi ?

Al : S'il te plaît...

Ella : Al, ça ne me regarde pas !

Al (fataliste) : Bon.

(Silence assez long. Ella considère Al abattu et accablé. Soudain elle se lève.)

Ella : J'y vais.

(Ella écarte les branches et disparaît dans la forêt.)

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l'air de l'eau (extraits)


Ed essaie de soulever une longue et lourde planche sans voir que Bila l'observe depuis quelque temps.

Ed : - Ouuuuush...

Bila : - C'est quoi ?

Ed (surpris) : - Euh, ça ?

Bila : - Oui, ça.

Ed : - Rien.

Bila : - Rien ? Sûrement pas. C'est pas rien. Si c'était rien, tu n'aurais pas fait ouuuuush.

Ed : - J'ai fait ouuuuush ? Tu crois ? Non, j'ai pas fait ouuuuush.

Bila : - Si.

Ed : - Non. (Il essaie encore de soulever la planche) Ouuuuush.

Bila : - Ah, tu vois, tu l'as fait ! Tu as fait ouuuuush. Tu l'as fait.

Ed : - C'est parce que c'est lourd.

Bila : - Je vois. C'est quoi ?

Ed : - Une planche. Au revoir

Bila : - Au revoir ? Pourquoi au revoir ? Je pars pas !

Ed : - Moi je pars.

Bila : - En laissant ta planche ?

Ed : - Ah non, c'est ma planche : je pars avec.

Bila : - Non.

Ed : - Non ?

Bila : - Tu n'arrives même pas à la soulever : tu ne peux pas partir avec.

Ed : - Je vais pas loin.

Bila : - Loin, pas loin, c'est pareil : faut la porter, la planche. Qu'est-ce qu'on entend, là ?

Ed : Rien. La rivière. La rivière qui murmure.

(Silence : ils s'observent)

Ed : - Tu pourrais m'aider.

Bila : - Oh là, oh là.

Ed : - Tu veux pas m'aider ?

Bila : - Chais pas. (Surjouant ) Chuis qu'une fille.

Ed : - Deux euros.

Bila : - Cinq.

Ed : - Hé, c'est cher !

Bila : - C'est le prix. C'est mon prix. Tu n'as pas le choix : il n'y a que moi, ici.

Ed : - Deux euros. C'est tout ce que j'ai.

Bila : - On dit quatre, tu m'en donne deux, tu m'en dois deux.

Ed : - Quatre, c'est beaucoup !

Bila : - C'est à prendre ou à laisser.

Ed : - C'est bon, c'est bon.

Bila : - C'est pourquoi ?

Ed : - Pourquoi quoi ?

Bila : - La planche.

Ed : - C'est pour la rivière.

Bila : - Un bateau ? Tu veux construire un bateau ?

Ed : - Non : un pont.

Bila : - Pour traverser la rivière.

Ed : - Ben oui.

Bila : - C'est pas un piano, ce qu'on entend ?

Ed : - On n'entend rien. Le bruit de la rivière, son murmure, c'est tout.

(Silence : ils réfléchissent)

Bila : - Pourquoi ?

Ed : - Pourquoi quoi ?

Bila : - Pourquoi tu veux la traverser, la rivière ?

Ed : - Comme ça.

Bila : - Pour le plaisir, alors.

Ed : - Si on veut.

Bila : - Pour voir du pays, pour être ailleurs, pour découvrir du nouveau et tout et tout.

Ed : - On peut dire ça.

Bila : - On peut dire ça mais on peut dire autre chose, non ?

Ed : - Oui...

Bila : - Alors dis-le.

Ed : - C'est personnel.

Bila : - Au revoir.

Ed : - Hé ! Qu'est-ce que tu fais ?

Bila : - Je pars : tu ne veux rien me dire.

(Bila s'éloigne)

Ed : - Attends !

Bila : - Tu me dis pourquoi tu veux traverser la rivière ?

Ed : - Oui. Mais tu m'aides à porter la planche.

(Bila revient)

Ed : - C'est pour retrouver mon père.

Bila : - Ton père, il est de l'autre côté de la rivière ?

Ed : - Oui.

Bila : - Sûr ?

Ed : - La dernière fois que je l'ai vu, on avait traversé une rivière.

Bila : (montrant la rivière toute proche) - Celle-là ?

Ed : - Oui. Enfin une rivière. Chais plus. Y a longtemps.

Bila : - Je vois.

Ed (méfiant) : - Qu'est-ce que tu vois ?

(Bila regarde par dessus la rivière)

Bila : - Tu ne l'as pas vraiment regardée, cette rivière : tu l'as juste aperçue. A peine. Pas du tout, même. On t'a dit : là, on franchit la rivière. Tu t'en fichais, tu avais la tête ailleurs : tu étais avec ton père ! On t'aurait dit : ça y est, nous dépassons la planète Mars, c'était pareil. Et on ne t'a peut-être rien dit du tout, on ne t'a parler de rien, ni de la planète Mars, ni de la rivière. C'est juste un souvenir, cette histoire de rivière. Et tu sais, les souvenirs, il ne faut pas trop s'y fier, surtout quand on a un peu d'imagination. Alors, la rivière...

(Bila regarde par dessus la rivière.)

Bila : - Y a personne, de l'autre côté.

Ed : - T'es sûre ? Regarde mieux.

(Bila grimpe sur les épaules de Ed et regarde loin par dessus la rivière)

Bila : - C'est désert.

Ed : (s'illuminant) - C'est ça ! C'est ça ! Le désert !

Bila : - Hé !

Ed : - On était dans le désert. Perdus. Sans eau. Sans rien. On risquait de mourir de soif ou d'être dévoré par les hyènes.

Bila :- Le soleil était brûlant et le vent se levait.

Ed : - Oui. Merci.

Bila : - Bonjour l'angoisse !

Ed : - Pourquoi tu dis ça ? Pas peur, moi, pas peur du tout : j'étais avec mon père. Et mon père, le danger, le désert, ça le connaît !

Bila (dissimulant son ironie) : - Il est fort.

Ed : - C'est mon père.

(Silence : Ed est rêveur, Bila songeuse)

Bila : - On l'entend encore, ce piano.

Ed : - Y a pas de piano. Y a juste la rivière. Le murmure de l'eau.

Bila : - Pourtant, je crois bien que...

Ed : - Non.

(Prudente, Bila n'insiste pas. Nouveau silence)

Bila (désignant l'autre côté de la rivière) : - Ouais bon mais là y a personne.

Ed : - Quoi ?

Bila : - Il est pas là.

Ed : - Faudrait voir plus loin.

Bila : - Faudrait d'abord traverser.

Ed : - Installer la planche. On y va ?

Bila : - Deux euros. Cash.

Ed : - OK : chose promise, chose due.

(Ed donne à Bila les deux euros. Puis ils soulèvent la planche et l'approchent de la rivière. Puis ils hésitent : comment la poser de telle manière qu'elle serve de pont, alors qu'ils sont tous les deux du même côté de la rivière et que la planche est très lourde ? Bila a une idée. Elle fait signe à Ed de l'attendre et sort. )

Ed (racontant et jouant en même temps) : - Mais oui, le voilà, il se lève, le vent de sable. C'est terrible, du sable partout, dans le nez, dans les oreilles, dans les yeux ! Ou ou ou ou... On ne peut plus respirer. On ne voit plus rien. Papa, où es-tu ? Ou ou ou ou... Mon fils ! Je l'ai perdu ! Ou ou ou ou... Papa ! Ou ou ou ou ou... Mon fils ! Ou ou ou ou ou ... Papa ! Ne bouge pas, mon fils, ne bouge plus : je vais te retrouver ! Je ne bouge plus. Ou ou ou ou ou ou... J'attends. Ou ou ou ou ou ou... C'est long. Et s'il me cherchait là où je ne suis pas : loin, par là, ou bien par là-bas ? Ou ou ou ou ou... Toujours rien. Ou ou ou ou...Il m'a perdu. Ou ou ou ou ou... Il ne me retrouvera jamais... Ou ou... Enfin, sa main sur mon épaule ! Je t'avais dit de ne pas bouger, fiston ! Mais j'ai pas bougé, papa ! Si, tu as bougé, sinon je t'aurais retrouvé tout de suite. J'ai bougé un peu, alors, peut-être... Ah, tu vois ! Ou ou ou ou... Main toujours sur l'épaule. Fin du vent de sable. Ouf !

(Bila, qui revenait portant une guinde, a assisté à la fin du jeu de Ed. Elle fixe la guinde à un bout de la planche, fait signe à Ed de soulever la planche, en cale l'autre bout et avec la guinde - et avec l'aide de Ed- fait descendre la planche par dessus la rivière : le pont est fait.)

Bila : - Voilà. Dis, j'ai tout entendu.

Ed : - Entendu quoi ?

Bila : - L'histoire du vent de sable. C'est vrai que tu avais bougé ?

Ed : - Chais pas. Sûrement.

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Ed : - Tire-moi des pénos.

Bila : - Des quoi ?

Ed : - Des pénalty. Tu shootes dans le ballon et j'essaie d'arrêter.

Bila : - Il font ça, les papas ?

Ed : - Tout le temps.

Bila : - Pas aux filles.

Ed (outré) : - Ben non, pfff, pas aux filles ! On essaie ?

(Le jeu se passe avec ou sans ballon. Bila tire trois ou quatre pénos, de mauvaise grâce. Ed les bloque tous.)

Ed : - Je les bloque tous. C'est pas normal. Tu les tires comme un manche. (Silence boudeur de Ed, Bila est désolée). Et puis tu dis rien. Les papas, ça explique, ça commente, ça se félicite, bref, ça parle tout le temps pendant les pénos.

Bila (au bord des larmes) : - Chuis pas un papa !

Ed : - Tu pourrais faire un effort. Je te montre. Je fais le papa. Passe dans les buts.

Bila : - C'est où ?

Ed : - Là où j'étais, enfin !

(Bila, de mauvaise grâce, va s'installer à la place de Ed.)

Ed : - C'est parti. Tu vois, mon fils, celui-ci, je le travaille de l'intérieur du pied. C'est de la précision. Pas fort, mais avec de l'effet. A ras de terre. Dans le petit filet. Hop.

(Bien sûr, Bila n'a pu arrêter le ballon.)

Ed : - Voilà ! T'as vu le geste ? Je te le refais. A blanc. Sans ballon. Juste pour la technique. Pour la démonstration. Pour l'exemple, quoi ! Regarde bien. T'as vu ? Impeccable, non ? N'empêche, t'aurais pu plonger !

Bila (ne comprenant rien) : - Plonger ? Dans la rivière ?

Ed : (après un instant d'hésitation) - Hé hé, fiston, toujours blagueur, hein ? Tu es un rigolo, toi. Un comique, hein? Normal : bon sang ne saurait mentir, comme on dit. Tel père, tel fils, quoi ! Allez, un autre. Cette fois, du dessus du pied, comme pour une reprise de volée. J'amortis un peu, tout en douceur, j'enveloppe, j'enroule... et tchac, je tire !

(But, bien sûr.)

Ed : - Super trajectoire, non ? Imparable. Alors écoute-moi bien, fils : ne quitte pas le ballon des yeux. Ne regarde rien d'autre. Y a qu'une chose au monde, une seule : ce ballon. Rien n'existe à part ce ballon. D'accord ? Bon, au suivant. Attention, je vais faire un changement de pied, tu vas même pas avoir le temps de t'en apercevoir. Tu vas même pas le voir, le ballon !

(Bila arrête le ballon, à la grande surprise de Ed.)

Ed : - Comment t'as fait ? Moi, j'y suis jamais arrivé !

Bila : - Comme tu m'as dit, p'pa : pas quitter le ballon des yeux.


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