Angélique :
Qu'est-ce que c'est ?
Pierre :
Un abécédaire : A, B, C, D...
J'ai fait une liste : dans le château, il y a un maître d'hôtel, quatre cuisiniers, cinq valets de pied, trois boulangers, trois cochers, huit femmes de chambre, deux nourrice, un aumônier... Vingt-sept domestiques au total ! Dans le tas, il y en a bien trois ou quatre qui connaissent leur alphabet. Qu'ils te l'apprenne : c'est vite fait !
.........................................................................................................................................................
Pierre :
Qu'est-ce que c'est ?
Angélique :
Deux livres de tabac.
Pierre :
Pour moi ?
Angélique :
Puisque vous voulez bien m'apprendre...
Pierre :
Trop tôt : je ne t'ai encore rien appris !
Angélique :
L'alphabet...
Pierre :
C'est peu de choses. Rien du tout. Garde ce tabac. Dis-moi plutôt pourquoi tu veux apprendre à lire.
Angélique :
Pour mieux prier Dieu.
Pierre :
Hé, ça ne te ressemble pas ! Enfin, ça va, garde tes secrets. Après tout, c'est peut-être aussi bien comme ça.
___________________________________________________________________________________
la comtesse volante
Etienne :
Rien. J'ai beau réfléchir, je ne vois aucune solution pour sortir d'ici : nous sommes là pour longtemps. Jusqu'à ce que quelqu'un nous aperçoive et nous jette une échelle de corde.
Joseph :
C'est ce qui va se passer. Quelqu'un verra la fumée de mon feu et viendra à notre secours (Il allume le feu).
Etienne :
Cela m'embête.
Joseph :
(Heureusement surpris) :
A dire vrai : moi aussi.
Etienne :
Ah bon, vous aussi ?
Joseph :
Je préférerais, comme vous, que nous nous en sortions par nous-même.
Etienne :
Orgueil ?
Joseph :
Mais non. Enfin peut-être.
Etienne :
Vous êtes comme moi : vous ne vous fiez pas au hasard. Ni à la providence.
Joseph :
Disons que j'aime bien penser que mon avenir n'est inscrit nulle part, qu'il reste à écrire. Et surtout que j'en suis le principal auteur.
Etienne :
Bravo monsieur, vous me plaisez de plus en plus car là-dessus, je vous suis frère : nous ne serons pas jouets des circonstances ! C'est ce qui fera notre grandeur... Hé, attention : vous allez mettre le feu à votre habit !
Joseph :
Diable : Il est roussi.
.......................................................................................................................................................
La Comtesse :
(Après un silence)
Bon. Ecoutez moi. Ecoutez moi bien. Ayant été témoin de vos expériences et de vos réflexions, j'ai pensé que celles-ci pourraient tout à fait aboutir : vous me semblez aptes, en effet, à construire une machine volante mue par la chaleur de l'air. Cette première machine volante sera un modèle, à partir duquel j'en construirai dix, cinquante, cent, autant qu'il le faudra !
Joseph :
Qu'il le faudra pourquoi, Madame ?
La Comtesse :
Pour affréter la première flotte de machines volantes au monde, pour créer la première compagnie de transports aériens de voyageurs et de marchandises !
(Un silence de surprise, d'admiration et enfin de perplexité)
Etienne :
Cela est-il bien raisonnable, Madame ? Cette machine, qu'il nous reste d'ailleurs à construire, ne sera-t-elle pas qu'une curiosité propre à distraire les badauds et à amuser les enfants ?
Joseph :
D'un autre côté, l'indigence de nos moyens de transport est patente : les diligences et les charrois sont lents et à la peine sur de bien mauvaises routes et tant de cargaisons gisent au fond des mers...
Etienne :
Certes. Mais, mon cher Joseph, on ne crée pas une compagnie de vaisseaux volants comme on fabrique du bleu de Prusse : l'entreprise est de taille et il y faut des fonds.
La Comtesse :
Des fonds ? Mais j'en aurai : je constituerai un capital, je rassemblerai des actionnaires...
Etienne :
Vous suivra-t-on ? Confie-t-on facilement sa fortune à de l'air chaud qui s'élève ? A une fumée ? A un rêve ?
La Comtesse :
J'ai un nom, connu et respecté de tous, enfin de tous ceux qui comptent : on me suivra ! Et l'on fera bien car il peut y avoir à gagner, comme je le pense, beaucoup d'argent. Et puis le capitalisme, Messieurs, n'est-il pas un pari sur le mouvement et donc la source de tout progrès ? Et je crois en ma réussite, puisqu'aussi bien il faut tenir pour vrai...
Joseph :
... ce dont la négation emporterait notre envie de vivre.
(La Comtesse sourit et salue Joseph qui la salue à son tour en souriant)
Etienne :
Et nous, Madame, que devenons-nous, dans cette aventure ?
La Comtesse :
Dès l'envol de la première machine, vous êtes libres.
Etienne :
Ainsi notre invention en enrichira d'autres...